Semaine 12/17 – Suisse – Assistance administrative internationale et données volées

Le Tribunal administratif fédéral était-il fondé à refuser l’entrée en matière sur une demande d’assistance administrative formée par la France (arrêt A-6843/2014 du 15 septembre 2015 – voir aussi notre blog de la semaine 39 de 2015) au motif que les autorités françaises avaient eu accès au nom de la personne concernée au moyen d’une liste volée par une employée de l’établissement français de la banque suisse ? Dans son arrêt 2C_893/2015 du 16 février, le Tribunal fédéral a répondu par la négative. En voici résumés les principaux considérants :

– L’article 28 alinéa 3 lettre b CDI CH-F, en relation avec l’article XI du Protocole additionnel, prévoit que  l’expression « renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa  législation [de l’Etat requérant] ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre Etat contractant » permet à l’Etat requis de refuser l’assistance. Cette disposition, ne contenant aucune référence aux circonstances qui ont amené l’Etat requérant à former sa demande, ne peut fonder le refus de communiquer, sauf à en détourner le sens de manière contraire à la bonne foi. Seul est déterminant le fait que les renseignements demandés puissent en eux-mêmes être obtenus dans le respect des dispositions du droit interne de l’Etat requérant.

– La question de la bonne foi de la France ayant été mise entre parenthèses en  relation avec l’article 28, elle est néanmoins examinée dans le contexte général de la convention. L’autorité requérante ne peut être soupçonnée d’avoir agi de mauvaise foi : d’une part, elle avait indiqué disposer du nom de la personne concernée par l’intermédiaire du juge français, dans le cadre d’une information judiciaire à l’encontre d’employés de la banque ; d’autre part, l’article L 10-0 AA LPF permet à l’administration fiscale française d’exploiter les informations qu’elle reçoit pour autant qu’elles aient été portées « régulièrement » à sa connaissance, ce qui est en particulier le cas si elle les a reçues du Ministère public ou de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Point n’importe donc que l’information à l’origine de la demande d’assistance soit volée, dès lors qu’elle a été rendue légitime, du moins aux fins fiscales, par le biais de dispositions de procédure. L’exception au principe de l’effet induit en procédure pénale ainsi implicitement introduite est tellement large qu’elle met à néant le principe lui-même. Qu’importe, la bonne foi de l’Etat requérant est sauve, et cela au-delà de la simple présomption. L’on peut même se demander si l’article 29 alinéa 1 Cst a encore un sens.

– Selon l’article 7 lettre c LAAF, il n’est pas entré en matière lorsque, notamment, la demande « se fonde sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse ». La question est de savoir si, par cette disposition, il faut comprendre exclusivement les actes qui doivent être effectivement punissables en Suisse ou aussi ceux qui le seraient s’ils relevaient de la compétence des autorités de poursuite pénale suisses. Suivant l’avis de l’Administration fédérale des contributions, le Tribunal fédéral opte pour la première lecture. Cela suppose, d’une part, que les conditions objectives de la norme pénale suisse prétendument violée soient remplies et, d’autre part, que ces actes entrent dans le champ de compétence territoriale ou extraterritoriale de la Suisse. Cette seconde exigence n’étant pas présente, le tribunal écarte l’application des articles 47 LB, 162 et 273 alinéa 2 CP.

De la comparaison avec la circulaire de l’Office fédéral de justice du 20 juin 2014 sur le vol de données et l’entraide judiciaire internationale (« … lorsque la procédure pénale et/ou la demande d’entraide se fonde délibérément et principalement sur des données volées en Suisse ou dans un Etat tiers, il y a lieu d’admettre que l’Etat requérant n’agit pas de bonne foi. »), l’on peut déduire que la bonne foi est devenue une notion à portée différenciée selon qu’il s’agit d’entraide judiciaire ou d’assistance administrative.

Dans ses rapports explicatifs d’août 2013 et de juin 2016 sur la révision urgente de l’article 7 lettre c LAAF concernant les données volées, le Conseil fédéral fait état de la pression internationale, pour justifier la distinction proposée entre l’obtention des données volées par l’Etat requérant au moyen d’un comportement actif (et alors contraire à la bonne foi) ou passif. Mais l’arrêt du Tribunal fédéral ne vise pas cet état de fait : il ne s’agit pas de renseignements volés qu’un Etat a reçus, avec ou sans sollicitation, d’un Etat tiers, mais de données volées dans l’Etat requérant. L’indépendance judiciaire par rapport à des pressions politiques dans le cas concret  se trouve ainsi hors de cause, pour ceux qui pourraient en douter…

Comme la recourante n’était que l’une des personnes dont le nom figurait sur la liste volée, il faut mesurer la portée de cet arrêt non seulement pour les autres, quelque 600 personnes y figurant, mais dans un contexte de pratiques répréhensibles de plus en plus généralisées. A cet égard, l’on ne peut s’abstenir de rappeler que dans les rapports précités, le Conseil fédéral précise aussi que l’on devrait s’attendre à des conséquences considérables en termes de personnel et de ressources pour la Confédération et qu’il n’est dès lors pas possible de faire une évaluation quantitative du changement législatif proposé. L’arrêt du Tribunal fédéral va à l’évidence amplifier ces conséquences.